Trance-Brume (récit)

     Tellement las de fixer la maudite ligne blanche, à peine perseptible, qui me guide vers le bunker de la secte.
Qu'y aura t'il plus loin, qu'y avait-il avant? Au milieu de nulle part, au milieu de la route. Cette fameuse route
qui m'a délivré, sorti de mon cerveau-bulle, évadé de ma cellule. En sens inverse, me dirige vers un univers étran-
ge peuplé de moutons-humains. Parfois je souhaite qu'on me laisse seul au milieu de ce monde lugubre et sombre du
mois d'octobre à celui d'avril. Je ne mérite pas d'en sortir. C'est mon châtiment. Epais manteau corrosif, incisif,
mordant, me transperce les os, de part en part. Nuage formé au voisinage du sol par des goutellettes microscopiques
dûes à un refroidissement de l'air humide. Confusion formée au voisinage du cerveau par des sentiments malsains dûs
à une sensibilité exacerbée de la pensée humaine.
     La ligne me sauve et me guide, mais c'est un vice. Je lui doit tout, je m'y accroche et elle fait désormais ce
qu'elle veut de moi. Et si elle me guidait dans un précipice? Pas d'autres choix, no alternative.
Traverser Brumeville, pour se planter de manière navrante dans le bas-côté, un pilône éléctrique enfoncé dans le crâne.
Le sage sait attendre. Le singe croit le savoir. J'en ai connu des comme ça.
    Un jour je saurai pourquoi existe ce sas entre les deux mondes, cette foutue route relais, ce rite de passage entre
la secte et le reste du monde. Un jour je serai dompteur, et funambule, et jongleur. Funambule pour pouvoir rester en
équilibre au dessus du Bien et du Mal, du noir et du blanc. Jongleur pour gérer d'une même main, tout et son contraire.
Mais pour l'instant je conduis, dans la nuit blanche, où même les spectres de mes aïeuls sont invisibles tellement l'am-
biance est à couper au hachoir. Et tout à coup j'aperçois une lumière: Est-ce le point d'arrivée? Est-ce le point de dé-
part? Le sage sait attendre, le singe croit le savoir. Moi je ne le sais pas.