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Des Mots Démos Des Maux ...
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25 février 2014

ROBERT PETE WILLIAMS OU LA TRANSCENDENCE DES GENRES (article):

 

   Prenez un dictionnaire ou une encyclopédie musicale à la page Billie HOLIDAY, on y parlera d'une chanteuse de jazz. Prenez le même dictionnaire à la page Hank WILLIAMS, on y parlera d'un musicien de country. A la page Townes VAN ZANDT, on y parlera de folk music. Pour moi, la réalité est toute autre: il s'agit là de trois artistes de blues. Car au-delà de l'étiquette qu'on leur a collé, ils possédaient cette aura, ce sens aigu de la complainte si propre à ce qui s'avère être le blues.C'est là la marque de fabrique des grands, des artistes majeurs: ils ne peuvent être catégorisés par rapport à des caractéristiques techniques, par rapport à des éléments concrets, des règles et des lois. La dame aux camélias est, avant d'être une jazzwoman, une blueswoman car elle s'exprime dela même manière que Son HOUSE ou Memphis MINNIE. Et elle s'est toujours déclarée guidée par Besse SMITH et Ma RAINEY. Le même feeling se retrouve chez Hank WILLIAMS et Townes VAN ZANDT. Ils ONT des caractères jazz, country ou folk, mais ils SONT le blues.Et Louis JORDAN, est-ce du rythm'n'blues, du rock'n'roll? Et Bo DIDDLEY? J'ai toujours été attiré par les musiciens qui se détachaient de leurs chaînes, qui ne pouvaient pas être classés, rangés bien confortablement dans un tiroir. Le premier caractère de ces artistes est,comme on l'a dit, le feeling, le fond, l'âme. Mais si l'on y regarde de plus près, et chez des artistes plus récents, le deuxième nous apparait: ces insaisissables jouent avec les clichés, s'amusent avec la conformité et la réglementation.

   Maître en matière de liberté musicale, Neil YOUNG est admirable pour ses revirements de bord, ce qui le place un jour sur le piedestal de la folk musique, le lendemain sur le podium du rock sauvage et bruitiste, pour finir ensencé pour un album country ou éléctro . Mais alors comment peut-on le qualifier? Peut-on? Doit-on le qualifier? Peut-être faut-il simplement le quantifier? Ou bien sûrement ne faire que l'écouter et l'apprécier (quelles idée à la con de vouloir tout analyser, vilain moi!) Je voulais parler des artistes jouant avec les clichés: certaines formations "rock" en ont fait leur fond de commerce: je peux en citer trois, que j'admire profondément: les BUTTHOLE SURFERS,dadaïstes punks prennant un malin plaisir à torturer leur propre répertoire, à saborder les chansons.Il est parfois du goût de certain d'afficher son mauvais goût. Certains titres sont joyeusement malsains. Qu'est-ce donc que cette satanée musique? Mais attention! Ceci n'est pas dommageable car le groupe est malin au point de ne jamais porter atteinte à son talent de composition. Il y a toujours, dans leur morceaux, une partie grotesque et une autre on ne peut plus sérieuse et sincère. Ce sont de vrais mélodistes, de vrais rockeurs, avec un bon dosage de second degré et d'engagement. Autre groupe s'amusant avec les clichés, les MEAT PUPPETS. Parfaits techniciens, ils prennent garde de ne pas en faire trop, mais quand ils en font trop, ils se doivent d'aller très loin dans l'excès. Les buttholes et les puppets font partis de ce qu'on nomme "rock-punk" ou "rock indé" mais leur musique est bien plus que cela. Les frères KIRKWOOD des puppets font voler en éclats les barrières: solos de hard-rock à la sauce honky-tonk, douceur d'un slow tendu comme un rockabilly en rute. Troisième exemple de ces inclassables, WEEN. Eux aussi ne font pas dans la dentelle quand il s'agit de mélanger les genres et les influences. Parfois à l'intérieur d'un album, mais souvent à l'intérieur d'un même titre. Eux aussi parviennent à garder leur sérieux tout en faisant la fête à l'interdit. Il n'y a pas vraiment d'interdit en matière de musique et heureusement qu'ils sont là pour qu'on ne l'oublie pas. Je citerai aussi CLOUDDEAD ou les albums des MELVINS les plus originaux. Ou bien encore CAN et  FAUST. Ou les STOOGES.(est-ce cela du punk?).Tous ces artistes n'avaient que faire des conventions et surtout débordent très largement du cadre dans lequel on les a coincés. Et c'est là où je voulais en venir. Cette introduction n'avait pour but que de présenter un homme appellé ROBERT PETE WILLIAMS, né à Zachary, Louisiane, le 14 mars 1914 et mort à Rosedale, Louisiane, le 31 décembre 1980.

 

   Robert Pete est considéré comme un grand bluesman, très méconnu avant le blues Revival des années 50-60, découvert alors qu'il jouait depuis 1930 dans les bleds de Louisiane et déplacé illico de la prison d'Angola (où il était condamné à perpèt. pour meurtre) jusqu'aux scènes des grands festivals et des clubs en Europe. Je vais vous conter un peu sa vie et son oeuvre et seulement après, vous comprendrez le pourquoi de cette introduction et son lien avec Williams. De "T.V. eye" aux juke-joints, il n'y a qu'un pas. Enfin, pas vraiment, mais vous allez voir...

   Robert Pete passe son enfance dans les champs de coton et de canne à sucre, il ne va pas à l'école. A dix ans, le jeune garçon concrétise son attirance pour la musique en fabriquant un prototype de guitare a partir de fil de fer et d'une boite à cigare.(Notons que la technique est plutôt répandue dans le Sud des Etats-Unis. Moult artistes folk, country ou blues ont débutés avec une boite à cigare). Quelques mois plus tard, il réunit la somme nécessaire à l'achat d'une vraie guitare, le temps de la boîte à cigare n'aura pas duré longtemps et tant mieux pour Robert. Ce dernier commence à jouer dans les pique-niques, les soirées et les tripots de la région, près de Bâton-Rouge en Louisiane. Nous sommes au début des années 1930 et déjà Robert se forge une petite réputation locale. Mais il n'est pas nomade dans l'âme. Ce vrai sédentaire passera une grande partie de sa vie près de son lieu de naissance, à l'inverse des grands country-bluesmen des années 1920-1930 comme Robert JOHNSON ou Blind LEMON JEFFERSON qui avaient la bougeotte permanente et purent ainsi construire une vraie carrière nationale.Jusqu'au milieu des années 1950, Robert associe son travail (d'abord le coton, puis essentiellement un emploi de ferrailleur) et la musique.

   En 1956, sa vie bascule dans le sordide. Agressé et provoqué par un blanc, il riposte et tue l'homme en question, d'un coup de revolver. Incarcéré au pénitencier d'Angola, il plaide la légitime défense mais est condamné à perpétuité. Cette prison est réputée pour être l'une des plus dures du Vieux Sud, et seule la musique donne un peu d'espoir à Robert. Il joue pour lui, pour les détenus et même pour les matons.En 1958, Harry OSTER et Richard ALLEN, deux musicologues prospecteurs découvrent en pénétrant dans Angola un homme particulièrement doué: Robert Pete WILLIAMS. Stupéfaits devant le talent du prisonnier, ils font des pieds et des mains pour l'enregistrer, puis se débrouillent pour le faire libérer sur parole en décembre 58. Robert doit maintenant travailler 60 heures par semaines dans une ferme désignée. Peu à peu, sa peine sera allégée et notre homme passe désormais beaucoup de temps à jouer de la musique. En effet, la mouvance du "blues revival" dicte sa loi en cette fin de décennie: les vieux bluesmen ruraux sont sollicités. On "redécouvre", et dans le cas de Williams, on découvre des talents susceptibles de nourrir les bouches affamées des jeunes étudiants des villes du nord, friands d'authenticité. Robert Pete est à l'affiche du grand et célèbre festival de Newport en 1964. Il part en tournée avec Mississippi FRED MC DOWELL, Mance LIPSCOMB, deux nouvelles découvertes, et du patriarche Big JOE WILLIAMS. Il joue en Europe et est à l'affiche de l'American Folk Blues Festival en 1966 et 1972.Jusqu'à sa mort, il joue ses chansons un peu partout, étant encore en France six mois avant sa disparition. Cela n'empechera pas sa femme de brûler sa guitare à cause des faibles revenus générés par sa carrière musicale. Même s'il fait partie des grandes découvertes du Blues Revival au même titre que Mance Lipscomb ou Fred Mc Dowell, il semble qu'il gardera jusque très tard son travail de ferrailleur.On peut d'ailleurs le voir conduire son camion-benne dans le film de Robert Manthoulis sur les bluesmen dans les années 1970.

  

   Robert Pete Williams occupe une place très spéciale dans le monde du blues, pour une raison simple: sa musique n'est pas vraiment du blues, en tout cas pas au sens académique. Son répertoire est unique et très spécial. Pour le décrypter, il faut revenir en arrière et noter que depuis son enfance, il n'a pas vraiment fréquenté le monde des bluesmen. Il a toujours vécu loin des artistes et de ce fait n'a été influencé que très tardivement. Robert Pete a également vécu sans éléctricité  jusqu'aux quelques années avant sa mort. Ce qui signifie pas de radio ni télévision. Pas de disques non plus.Ses seules influences, selon ses dires, sont, (et à petite échelle), Blind Lemon JEFFERSON et Peetie WHEATSTRAW, car il a écouté leurs disques chez des amis. Plus tard, en tournant avec d'autres musiciens, son style en sera affecté et modifié, mais pas avant la fin des années soixante.

   Mais alors, à quoi ressemble cette musique vierge de toute perversion? En fait, elle est rééllement étrange, et c'est là que mon article trouve sa source et voilà le pourquoi de mon introduction. La musique de Robert Pete est un blues hors-du-blues. On ne peut que remarquer l'absence des règles établies (structure du chant en mode A-A-B, 12 mesures de thême, utilisation des blue-notes...).Ce sont des chansons anarchiques, parfois dissonantes. Le style est complexe, l'accordage de la guitare est particulier (souvent en Ré mineur) -d'ailleurs il utilise souvent les accords mineurs,chose rare dans le blues. Les rythmiques sont étranges et spontanées.

    En écoutant les morceaux de Williams, on pense aussitôt à de la musique traditionnelle africaine. En effet, les ambiances sont plus proches de chants folkloriques du Mali que de Charley PATTON. Comment cela se fait-il? Est-ce l'influence de ses ancêtres, qu'il aurait "ingéré" lors de son enfance? Une chose est sûre, c'est une musique planante et visionnaire, que l'on peut comparer aux chants de chamanes nord-africains. S'il fallait le mettre à côté d'autres buesmen, je dirai qu'il est proche, dans une infime mesure, de Skip JAMES pour l'athmosphère envoutante qu'il dégage, et de John Lee HOOKER pour le côté caractériel d'une personnalité fortement affirmée.On trouve également un petit peu de Mississippi JOHN HURT pour la tendresse et le calme de certains morceaux. Mais c'est tout. Autre trait particulier: Robert Pete improvise tout le temps et du coup, chaque version est différente et certaines chansons ne sont jouées qu'une fois, remplacées au pied-levé par une autre. Même le chant dépend de l'instant et les paroles sont inventées sur le tas. Cela donne encore plus d'originalité à son oeuvre et de relief à son répertoire. Les textes sont empreints de ses éxpériences et de ses malheurs autant que ses bonheurs. Evidemment, il a le blues et il en parle, par le biais de la prison, de la société qu'il juge très négativement, d 'amours difficiles. Il parle aussi de religion, et se pose beaucoup de questions à ce sujet, toujours en proie à des remises en causes et des interrogations sur notre monde. Il a un style naïf très attachant. Mais il est loin d'être bête, c'est sûr. Il est en tout cas, selon tous les critères évoqués, un artiste original et singulier, ce  qui, à mon humble avis,fait de lui un GRAND artiste. Il ne peut être rangé dans un tiroir et c'est tant mieux.

   Je vous conseille vivement tous ses premiers albums, enregistrés en prison et peu après sa sortie.Ils ont été réédités chez ARHOOLIE. La période finale de sa discographie est moins originale mais toutefois de grande qualité. On ne peut rester de marbre à l'écoute de Robert Pete Williams, essayez et vous verrez.

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