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Des Mots Démos Des Maux ...
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5 février 2014

L'old-time : Washington Phillips et autres délices . (Article)

DANS LE TOURBILLON DE LA MUSIQUE OLD-TIME, WASHINGTON PHILLIPS ET AUTRES DELICES

    Tout d'abord précisons le titre de cet article: le terme "old time" renvoie initialement à
la musique pré-country. C'est simplement la désignation d'un style précis antérieur aux années
1940's. Je tiens à dire que dans cet article et dans son titre, j'utilise "old-time" pour dési-
gner de façon globale la musique traditionnelle américaine du début du siècle jusque vers les
années 1940's. Mais ce peut-être du blues rural, country-blues, des spirituals, de la musique
"hillbilly", country, folk, des mélanges de tout cela. Mon choix d'employer ce terme pour une
appellation générale des musiques afro-américaines et blanches des Etats-Unis est donc exposé.
En lisant cet article, ne prenez donc pas "old-time" pour l'appelation commerciale inventée par
les labels et journalistes, mais pour, je le répète, une nomination plus générale.
   Il m'est primordial de rendre compte d'un processus qui perdure depuis des années et qui me
pompe ma volonté, mon énergie, mon pognon, mes culottes. Bref, une vraie saloperie au pre-
mier abord. Mais en y regardant de plus près, c'est beaucoup moins grave que ça (même si mon
épouse et mon petit garçon sont parfois excédés). Avec l'âge adulte, un véritable cyclone s'est
abbattu sur moi, ou plutôt une spirale infernale dans laquelle je me mouvoie consciencieusement
jusqu'à atteindre l'oeil, le centre. Sachant bien que cet endroit, ce but n'existe qu'en rêve.
Cette vision des choses est toutefois un peu simpliste et erronnée car il s'agit en fait d'une
fouille archéologique méthodique. Une pratique selon le principe d'étude couche par couche,
chronologiquement ou par association de thêmes ou d'idées. Ca semble tordu mais je m'explique:
   Je me suis retrouvé sur le chantier de la musique traditionnelle nord-américaine (ceci dit,
le continent sud-américain n'est pas en reste dans mes goûts) et je n'en démords pas, à tel
point que je souhaitais vous faire partager cette passion. De fil en aiguille, je trouve des
artefacts, plus ou moins bien conservés et faisant office de pièces de puzzles. Cette musique
a ceci de particulier qu'elle est un "melting pot" composés d'éléments divers(européens, afri-
cains,...)qui se sont imbriqués petit à petit, lentement, pour forger une identité propre.
Il n'y a pas, sauf chez les Amérindiens, de culture millénariste aux Etats-Unis. Il y a eu im-
portation de caractères provenant des pionniers anglais, irlandais, français, ou des esclaves
africains, pour ne citer que les plus influents.

    Commencons par le début. En bon fan de NEIL YOUNG et CREEDENCE, j'aurai pu, de part leurs
influences blues, folk et country, me diriger assez tôt vers la musique traditionnelle. Ce n'est
que plus tard, après avoir pressé le rock et le punk comme des citrons pour qu'ils finnissent
par donner tout leur jus, que l'envie de partir à la recherche d'un Graal folk hypothétique se fit
sentir.
   A la base, c'est un disque offert par un ami que je ne remercierai jamais assez qui m'a mis
le pied à l'étrier."No other" de l'ex-Byrds GENE CLARK et puis un livre récent "folk et renou-
veau:une ballade anglo-saxonne". Attention, l'album de Clark n'est en aucun cas de la musique
old-time. Mais devenu fan, je chope tous ses disques, me familliarise avec la scène country-rock
de Californie. Je deviens fan de GRAM PARSONS, découvre ses influences, la connection avec des
artistes qu'il reprends et qui datent des années 1920/1930. Les hippies-cowboys de L.A. me
refilent de l'or en barre. La guitare steel, le fiddle, c'est tout frais pour moi et je veux
savoir d'où cela provient. En même temps, je découvre le "folk revival" new-yorkais, bien que je
n'ai jamais aimé Bob Dylan. Je penche du côté de TIM HARDIN, FRED NEIL. Ces derniers se mêlent à
des plus vieux, de grosses pointures qui refont surface. PETE SEEGER et LEADBELLY, WOODIE GUTHRIE
et CISCO HOUSTON. Je tombe sur HANK WILLIAMS et TOWNES VAN ZANDT, qui sont deux énormes claques.
Et peu à peu je remonte le temps.

   Je découvre que les invités d'honneur des festivals folk 60's ont débuté leur carrière trente
ans auparavant. Je perçois aussi que deux grandes branches scindent la musique folk: les noirs
et les blancs. La musique country-blues et la musique hillbilly (pré-country). Cette scission
n'est qu'apparente, comme le prouve HARRY SMITH et son Anthology of american folk music, qui
démontre que les racines sont les mêmes, et comme on le verra plus loin dans cet article, ces
deux mondes se mêlent et s'entremêlent en permanence.Fini les étiquettes
à la con. En quatre volumes de deux LP's, Smith expose le meilleur de la musique "old time"
et toutes ses variétées, peu importe la couleur de peau ou les instruments utilisés.
Le mot d'ordre est: une musique proche des racines, de la tradition ET surtout profondément
humaine et "populaire" (en tout cas non-élitiste).La découverte de Harry Smith m'a fait plonger
la tête la première dans un monde ou se cotoient des artistes de milieux géographiques, sociaux,
raciaux, musicaux différents. D'un blues rural du delta, je passe à une musique des Appallaches
avec fiddle, à un chant spiritual a cappella dans une église Baptiste de Virginie. Du blues raffi-
né et presque jazzy de LONNIE JOHNSON, au pionniers de la musique CAJUN, des cow-boys chantants
au JUG-BANDS de Memphis.C'est bien sûr le fond qui importe, et non la forme. Je m'explique:

     La musique du début du 20è siècle nous offre une belle représentation, un panorama des USA
de l'époque. Les Etats-Unis sont pieds et poings liés à leur culture musicale car elle est partie
intégrante de la vie du peuple, et cela dans tous les milieux et classes sociales. Petits enfants
d'esclaves, mineurs du Kentucky, paysans ou urbains du Nord industrialisé. Nous français ne con-
naissons pas ce rapport à la musique.
   John Cohen, du groupe néo-folk "the NEW LOST CITY RAMBLERS" a réalisé un film intitulé "THAT
HIGH LONESOME SOUND", et il suffit de le visionner pour être frappé par la place que tiens la
musique dans les milieux ruraux (Soit-dit en passant, c'est pareil dans les villes). Les commu-
nautées campagnardes, souvent isolées et dépourvues du confort de l'urbanisation du Nord-est,
ont contribuées à forger une identité culturelle propre à chaque région, et bon nombre de styles
musicaux sont nés en milieu rural avant d'être exportées vers les villes. Ces musiques "old-time"
ont évolué en même temps que la société et se sont métamorphosées en "Chicago blues", Country du
"Nashville sound", folk new-yorkais, Gospel. Mais avant de muer, elles se sont construites dans
les états du Sud.

    J'ai donc découvert il y a quelques années, en vrac, CHARLEY PATTON, SON HOUSE, ED BELL et
BLIND WILLIE MC TELL, BUKKA WHITE ET LIGHTNIN HOPKINS, les travaux des LOMAX père et fils,
FLOYD MING'S PEP STEPPERS, NARMOUR ANS SMITH, LEAKE COUNTY REVELERS, LOUISE JOHNSON, SOL HOOPII,
MEMPHIS MINNIE, DOCK BOGGS, BILL MONROE, FOLKWAYS, DOCUMENT et YAZOO records,ROSCOE HOLCOMB, UNCLE
DAVE MACON, FRANCK HUTCHISON, CLARENCE ASHLEY, MISSISSIPPI JOHN HURT, SKIP JAMES, ALFRED KARNES,
RILEY PUCKETT, CHARLIE POOLE, AMEDE ARDOUIN, ELIZABETH COTTEN, DOC WATSON et tant d'autres.
  Tant d'autres, et, on y arrive, notammant un homme d'église appellé WASHINGTON PHILLIPS. J'ai
acheté le disque car Yazoo records est un gage de qualité, et puis les prédicateurs m'ont toujours
interressé. Ainsi, je suis sous le charme de BLIND WILLIE JOHNSON, BLIND JOE TAGGART, REVEREND
BLIND GARY DAVIS,(Fichtre, que d'aveugles, morte bourse!).
   Notre homme est donc né en janvier 1880, au Texas, où il a grandi et y est mort en 1954. La
rumeur prétend qu'un autre musicien noir de la région s'est un temps associé à lui pour jouer et
qu'il s'agissait de BLIND LEMON JEFFERSON. Sacré duo quand on pense à la renommée de Lemon quelques
années plus tard,devenant un pilier du country-blues dans tout le pays. Mais les deux compères ne
produiront rien de significatif, Lemon préférant partir sur les routes et enregistrer dans les
grandes villes pour privilégier sa carrière solo.
   Je ne m'étalerai pas sur les détails de la vie de WASHINGTON PHILLPS (appellons le WASH!),déjà
parce que on ne sait que très peu de choses, et puis car vous pourrez trouver les maigres renseigne-
ments sur Wikipedia et consorts. Attachons nous à sa musique:
    
   WASH a produit dix-huit chansons entre 1927 et 1929, dont deux ont été perdues. Ces titres, aux
paroles souvent bibliques, sont facilement reconnaissables car leur son est plus que singulier.
Ici, pas de banjo, violon ou guitare.Wash a produit une musique unique en accompagnant son chant
d'instruments peu communs:différentes sources sont en désaccord à ce sujet. Certains prétendent
que la DOLCEOLA a été utilisée. C'est en fait un type de cithare "fretless" dotée d'un clavier-pia-
no, qui fut fabriqué de 1903 à 1907. Cet instrument a notammant été utilisé de manière certaine
par un accompagnateur de LEADBELLY en 1944.
  D'autres sources citent l'AUTOHARP, ce qui est sûrement faux aux vues des quelques photos de Wash
entouré par deux de ses outils de travail. De plus, il suffit d'écouter quelques morceaux de la
Carter Family des années 1920 où Sara joue de l'autoharp, la différence de son est flagrante. Il
s'agit plutôt de deux CELESTAPHONES, fabriqués par la société Phonoharp au début du vingtième siècle.
Phillips les a arrangé en supprimant les marteaux du clavier-piano, destinés à frapper les cordes.
Il a ensuite scindé les deux instruments à quatre et cinq accords pour en faire un seul à neuf ac-
cords, complété de cordes pour les arpèges. Le jeu entre les différentes octaves est proéminent et
Wash obtient ainsi un son unique, cristallin à souhait, "angélique" diront certains.
  Ce rendu exceptionnel est la première caractéristyique de sa musique. La deuxième est le "song-
writing" comme on le dit aujourd'hui: les chansons elles-mêmes, les mélodies sont époustouflantes.
Elles n'ont rien à voir avec du gospel classique, encore moins avec du blues, ni avec la musique
afro-américaine pré-blues. Elles sont en fait tout à fait modernes, actuelles.Il est vraiment fou
qu'un homme dans les années 20 ait eu cette approche mélodique très universelle et ressemblant à des
styles qui lui sont postérieurs: pop music, thêmes classiques, musique de films, folk sud-américain,
et, il est vrai, une pincée de blues et de folk nord-américain. cela dit, on ne peut pas aisément
comparer les chansons de Wash à d'autres genres car c'est un univers TRES, TRES personnel.
   Troisième point: le chant de Phillips, tendre et plein d'empathie, parfois tendu mais toujours
dans l'émotion. Il en ressort une chaleur, un bien-être ,tel que l'on éprouve lorsque, gamin, on
s'endort au son d'une boite à musique, d'une comptine, veilleuse, ou pour les plus chanceux, au son
de la voix de  ses parents, pour que l'on passe dans le monde du sommeil le plus sereinement pos-
sible.
   Que l'on soit croyant ou pas, on ne peut que se laisser bercer par les paroles pleines de com-
passion, joyeuses ou tristes, inspirées par la foi de Phillips. Ce n'est pas de la propagande.
C'est une ode à la religiosité, et la différence est énorme. Ce sont de thêmes universels: les
derniers mots d'une mère mourante à son fils qui veille à son chevet, la rédemption, le pardon,
la recherche du bonheur, la gestion de la souffrance. C'est un disque singulier et personnel,
introspectif à souhait, mais dans le même temps rassembleur et à vocation populaire.
Wash nous convie, nous invite; c'est une entrée gratuite pour un monde qui n'est plus, une période
révolue. la dualité de ce disque est là: les thêmes sont universels et traversent les époques, alors
que c'est une musique d'un autre temps. Cette galette(de l'épiphanie) m'a touché en plein coeur.

     C'est un vaste sujet que la musique folk au début du vingtième siècle, aux Etats-Unis, car elle
nous rappelle l'histoire des lieux, l'histoire tout court: par exemple, l'héritage de la
guerre civile qui aurai dû déboucher, après l'esclavage, sur un mode de vie équitable et juste, et
qui n'a en fait amené que la ségrégation. La musique nous rappelle aussi l'industrialisation, les
flux migratoires vers le nord,tout un panel chronologique d'évenements populaires. On comprends
dès lors pourquoi le country-blues, par exemple, est né dans le sud rural sous le diktat des lois
Jim Crow: la vie des afro-américains servit de terrain fertile. On perçoit également l'âpreté et
la dureté de l'existence dans les Appalaches quand on écoute les chansons de Dock Boggs ou Roscoe
Holcomb.
  L'art musical est un mode de vie en Amérique, et l'héritage culturel est donc très riche.
Noirs, blancs, ouvriers, paysans, mineurs, métayers, travailleurs "libéraux", pour tout le monde
aux USA, la musique est plus qu'un exutoire, elle est vitale, comme manger ou respirer.
L'Amérique transpire la musique, et elle a sué tout d'abord dans le vieux Sud, là où la vie est
plus rude. On peut ressentir cette souffrance essentiellement dans la musique blues et Pré-blues.
Les traumatismes post-esclavagistes ont imprimés leur cachet dans les chansons.
Mais attention, la musique du vieux Sud, noire ou blanche, ne reflète pas que la souffrance. On
y croise aussi de l'humour, de l'amour, du sexe, des histoires rocambolesques. Il n'y a pas de
règle absolue en la matière, et cela est réducteur d'assimiler cette musique à la violence et la
dureté de la vie.

     On arrive à un point important concernant la musique old-time: l'interaction entre deux
types de chansons qui ont souvent été opposées, à tort: Pour faire simple, on a mis face à face
la musique afro-américaine et celle des blancs. D'un côté le pré-blues (ragtimes,square dances,
jug bands, duo banjo-tambours), le blues et les spirituals. De l'autre, la country et ses formes
primitives. Et le folk au milieu, un terme fourre-tout. Ce n'est pas aussi simple:
   Des noirs ont parfois appris à jouer à de jeunes blancs, qui ont été influencé par le blues.
A l'inverse, des formations noires ont pris modèles sur des groupes blancs. Afro-américains et
blanc-becs ont parfois joué ensemble. L'industrie du disque avait, cependant, bel et bien scindé
son marché en deux: les disques de blancs et les disques "races" réservés aux noirs, jusqu'au
début des années cinquante.
   FRANCK HUTCHISON est un exemple de la mixité entre ces deux mondes. C'était un homme blanc dont
les chansons avaient toutes les caractéristiques d'un blues rural primitif. Et certains groupes
"old-time" blancs comme des culs ont été pris pour des noirs et classés dans les disques "race".
Ce fut le cas des ALLEN BROTHERS qui fûrent, peut-être par racisme, totalement offusqués.
   Lors de fameuses sessions d'enregistrement en 1927 à Bristol, Virginia, on a pu découvrir des
futurs stars de la country naissante comme Jimmie RODGERS et la CARTER FAMILY, mais aussi quelques
noirs qui se rapprochaient du même style musical. D'autres afro-américains y ont joué des blues,
volontiers enregistrés par la firme VICTOR de RALPH PEER. Le jeune J.RODGERS (un blanc) avait un
répertoire qu'on peut volontiers de country-blues, au grand dâmne des amateurs de country pur jus
qui le voulaient comme "grand créateur" du genre.
    On peut dire que le sud des Etats-Unis a produit deux grands mouvements musicaux: country-
music et blues, mais en y regardant de plus près, leurs ancêtres ont forniqué plus d'une fois et
leur mélange a produit des disques et des artistes inclassables, ou classés par facilité dans
le "folk". Autre éléments allant à l'encontre des clichés (ici, celui du pauvre bluesman noir en
salopette et du péquenot mineur ou paysan avec son banjo fait-main): certains artistes folk des
années 1920-1930 venaient de milieux plus aisés que d'autres. Bascom Lamar Lunsford, par exemple,
était avocat. D'autres étaient professeurs ou propriétaires de terres et gagnaient leur vie con-
venablement.

      Nous parlons du Vieux Sud, mais le nord, me direz vous, qu'en est t'il? Et bien force est de
constater que la musique folklorique noire et blanche a pris racine au sud pour des raisons,
entre autres, de flux migratoires, d'arrivée massive de main d'oeuvre servile. Les mêmes raisons
vont aboutir à la fixation de la country et du blues dans les métropoles industrialisées du nord.
La country à Nashville (qui n'est, je vous l'accorde, pas vraiment au nord, mais en tout cas est
une grande ville prospère), le blues à Memphis, puis à chicago, New-York et autres points d'encra-
ges mineurs. Car à partir des années 1940, une population importante de travailleurs en quête d'un
meilleur niveau de vie remonte le long du Mississippi, puis se dirige vers les grandes villes.D'
autres quittent les montagnes, ou bien le Texas pour gagner Chicago, Boston, ou Philadelphie et
New-York. Dès lors, il en est fini de la musique "old time". Des mutations sociales profondes,
associées aux migrations sud-nord, ont crées des changements artistiques radicaux.
      Le blues s'électrifie et se joue en petites formations dès les années 1935-1940. (la mode est
aux "blues shouters", ces chanteurs à la voix assez forte pour rivaliser avec l' orchestre). Le
blues rural a muté en Rythm'n'blues.Le nègre en salopette est devenue image d'Epinal et la réalité
est toute autre. L'argent s'est infiltrée dans la country citadine, qui est désormais asseptisée et
loin du "hillbilly" sound. La musique religieuse qui était pleine de ferveur a perdue de son authen-
ticité. Les sermons habités des pasteurs, les rituels de "mise en joie" des femmes noires, pratiques
impressionantes et physiques héritées de l'Afrique, les spirituals dansés et mimés ont laissé place
au nouveau gospel, beaucoup moins expressif.
   Les chansons qui, jadis, traduisaient les affres de la société sudiste, reflètent désormais les
problèmes des quartiers dans les villes industrialisées. Vous me direz, que sont devenus ces artistes
folk dont nous avons parlé?
   Et bien, certains ne purent résister, commercialement parlant, à la faillite de certaines maisons
de disques durant la crise de 1929. Ils retournèrent donc à leurs occupations premières. Peu conti-
nuèrent à enregistrer et à tirer leur épingle du jeu. Ces derniers modifièrent leur répertoire et
leurs orchestrations pour avoir l'approbation d'un nouveau public urbain (Guitare éléctrique dans
le blues, pedal-steel dans la country and western). Et puis d'autres furent "redécouverts" avec le
folk revival des années 50-60, les jeunes étudiants du nord voyant en ces vétérans des idoles.
D'autres ont bien sûr cassé leur pipe, prématurément ou pas, victime d'une vie harrassante, d'abus
d'alcool, ou bien car avoir le blues est usant pour le corps et l'esprit!
Notez au passage que le terme "blues" est certes bien défini musicallement, mais j'aime l'utiliser
comme le descriptif d'une athmosphère, un état d'esprit, un sentiment, qui peuvent dépasser les
conventions du blues réglementé.

    Cet article est, je l'avoue, assez déstructuré car non-planifié. Il devait à la base être une
simple chronique de WASHINGTON PHILLIPS. Pardonnez moi pour le désordre mais je voulais revenir une
nouvelle fois sur les liens qui unissent tous ces styles de musiques folk "old-time". Les interact-
ions sont nombreuses entre profane et religieux, noir et blanc, blues et country. Et ce surtout à
l'époque de leur genèse, de la fin du 19ème siècle jusqu'aux années 1930-1935.
   Nous avons déjà dit que des blancs avaient fait des blues, des noirs de la musique "hillbilly",
mais les afro-américains ont dû faire des choix cruciaux en rapport avec une musique: le blues, qui
dans une société très croyante, était renié par les Eglises. Ainsi, Méthodistes et Baptistes in-
terdisaient les instruments dans les lieux de culte. De nombreux artistes ont été torturés par le
dilemne cornélien qu'on leur imposait: musique sacrée ou musique du diable.
Certains ont jonglé avec les deux, et d'autres ont vu leur ascension brisée. Quelques uns sont de-
venus dingues. Les derniers, enfin, ont choisis leur camp, au risque d'aller en enfer, ou de rester
cloitré dans leur communauté, car obtenir l'approbation d'un nouveau public, de surcroît nombreux,
était peu commun dans le circuit des spirituals.
Citons tout de même quelques artistes ayant réussi leur carrière en jouant sur les deux tableaux:
BLIND LEMON JEFFERSON, SKIP JAMES, BARBECUE BOB, BROWNIE MCGHEE, ou SLEEPY JOHN ESTES ont joué du
profane et du religieux, parfois sous des noms d'emprunts pour brouiller les pistes.
D'autres ont fermement choisi le domaine sacré, comme BROTHER JOHN SELLERS, BLIND GARY DAVIS, BLIND
 WILLIE JOHNSON, ou encore,...WASHINGTON PHILLIPS.
On a vu des bluesmen se repentir pour un temps, puis faire un come-back dans les soirées diaboliques.
(les concerts, condamnés par les Eglises). SON HOUSE est un exemple de ce va-et-vient entre les deux
mondes. En voyant s'échouer ses camarades bluesmen un à un à cause de leur train de vie (l'empoison-
nement de ROBERT JOHNSON, la mort prématurée de PATTON, de son ami WILLIE BROWN,etc), House a rangé
sa guitare et prêché, préférant la sagesse d'un poste de prédicateur à plein temps, mais...
jusqu'à sa redécouverte lors du revival du début 60's.Pour le plus grand plaisir des aficionados
étudiants dans les villes du nord des U.S.A.

     Enfin, pour terminer avec les liaisons entre différents styles, écoles, et couleurs de peau,
il faut observer de près le répertoire-même des artistes: beaucoup de thèmes afro-américains pré-
blues, ou "proto-blues", datant d'avant le vingtième siècle, ont été repris par des blancs considérés
comme des artistes "hillbilly", c'est à dire affilliés à du "proto-country" (un style censé être
d'inspiration européenne élaboré par les colons blancs).
Inversement, des musiciens noirs se sont allègrement servis dans le corpus folk des chansons de blancs.
En réalité, il est presque impossible de dénombrer ces interactions et il est alors très dur de perce-
voir une réalité manichéenne et dualiste dans le monde de la musique folk américaine. Je considère
personnellement qu'il y a une musique folk née dans le Sud, d'inspiration africaine ou européenne et
souvent les deux, et que je nomme "old-time", qu'il s'agisse de blues ou d'autre chose.
"Old-time", pour moi, est plus un terme lié à une époque qu'à une branche stylistique: c'est la musi-
que des compilations d'HARRY SMITH, celle née à la fin du dix-neuvième siècle et allant jusqu'aux an-
nées 1930 (car il y trop de mutations après cette décennie pour prolonger l'appellation).Il y a bien
sûr des scissions, des horreurs dans l'histoire américaine, qui ont influé sur la musique. Il est évi-
dent que l'esclavage et la période post-esclavagiste ont directement généré le blues. Mais au delà des
clivages et des crimes racistes, il y a, quelque part, une formidable unité que l'on peut discerner et
qui correspond pour moi à la musique "old-time", que ce soit du blues, des chansons de cow-boys, des
spirituals, du ragtime, du jazz primitif.
    Finissons cet article par quelques exemples concrets de ce que je viens d'énoncer: des chansons qui
ne sont ni noires ni blanches, ni country ni blues. Des chansons qui se sont balladées d'un répertoire
à un autre, réadaptées plusieurs fois, et que je trouve belles peu importe l'habillage. Car enfin, ce
qui nous importe est bien le fond. C'est ce qui porte l'art à son sommet: les notes, les mots, parfois
les deux, restent touchantes, chaleureuses ou blessantes, et peut importe le genre, le sexe ou la
couleur de peau de l'artiste.
    "Mississippi Heavy Water Blues" est un morceau de Robert Hicks, alias BARBECUE BOB, un bluesman
noir de Géorgie. La prise originale date du milieu des années 1920. Au moins trois artistes blancs ont
repris la chanson, dont la version la plus poignante à mon goût est celle de ROSCOE HOLCOMB, un homme
du Kentucky à la voix haut-perchée et terriblement expressive.
     "John Henry": un thème classique du monde afro -américain, évoquant l'histoire d'un homme qui
se bat contre la mécanisation du travail et les aspects négatifs du progrès industriel. John Henry se
tue finalement à la tâche, ne pouvant rivaliser.Bien sûr, la musique de ce morceau a évolué au fil des
versions mais l'histoire contée reste sensiblement la même. Il doit y avoir des dizaines de versions
d'artistes différents, mais je m'arrête sur les quatres que je préfère: HENRY THOMAS, un noir texan
qui préfigure le blues à venir (et de manière originale car Thomas joue de la flûte). Il a enregistré
"John Henry" en 1927. FURRY LEWIS, autre bluesman, de Memphis, arrange la chanson à sa sauce en 1928.
DOCK BOGGS, un pionnier de la musique "hillbilly", en crée une version à la fin des années 1920 égale-
ment. Enfin, CHARLIE POOLE, blanc-bec prodige, joue "John Henry" au banjo durant les années 1930.
      "In the pines": une chanson née à la fin du dix-neuvième siècle (de source fiable). LEADBELLY en
fit un blues, qui sera, soixante ans plus tard, repris sous le nom de "Where did you sleep last
night?", joué par MARK LANEGAN et KURT COBAIN, ce dernier popularisant sa version lors d'un concert
acoustique, "MTV unplugged". Mais avant cela, BILL MONROE en a fait un hymne bluegrass, LIBBA COTTEN
joua souvent ce titre sur scène, et durant les 70's, GENE CLARK l'inclut sur "Two sides to every story".
Ce morceau, riche de nombreuses adaptations, a évolué au niveau de son "ambiance", car certains,
surtout les plus vieux, le jouent sur des accords majeurs, donc plus enjoué que les versions contem-
poraines de Lanegan ou Cobain qui sont pluôt dans un mode semi-mineur. Ce changement confert à la
chanson une toute nouvelle dimension, pleine d'angoisse et d'amertume.
      "That's all right mama", premier simple d'ELVIS PRESLEY, est en fait, comme beaucoup des premiers
disques du label SUN records, une reprise d'un standard de chanteur rythm'n'blues noir, ici ARTHUR CRUDUP.
La face B étant une version du titre-phare de BILL MONROE, le roi du Bluegrass, "Blue moon of Kentucky".
Le rockabilly naissant, ovule de country fécondé par un spermatozoïde de blues, est finalement le point
ultime d'interaction, de rencontre entre les noirs et les blancs. Même si (c'est discutable) les noirs
eurent de l'avance en préfigurant le rock'n'roll à travers le rythm'n'blues et aussi le blues éléctrique.

    Il était important pour moi de conclure sur un paragraphe exposant des exemples concrets, car étant
donné le chaos total que représente ce bazar rédactionnel, cela me donne une once supplémentaire de
crédibilité!! Bref, j'éspère que certains ou certaines seront curieux et interéssés. N'hésitez pas à
m'écrire pour me faire part de vos réactions. Achetez WASH! Et Si le tourbillon de l'Old-Time vous emporte,
évitez de trop vous faire bouffer les culottes!
    Au revoir, à bientôt.

      Loic "SILENCE" D.  

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